Voici le discours prononcé par Samah Abunina de La Via Campesina[1] lors de l’Assemblée des femmes du 3e Forum Mondial de Nyéléni[2].
Je suis une femme de Palestine, où les voix des femmes sont censées être enterrées sous les décombres. Mais malgré les différentes formes de blocus, je suis ici aujourd’hui pour faire entendre la voix des femmes palestiniennes – paysannes, révolutionnaires, martyres et prisonnières.
Je suis témoin du crime qui se passe, des femmes qui perdent leurs enfants sous les bombardements, des femmes chassées de chez elles, de toute une génération privée du droit de vivre dans la dignité. Nous avons connu le génocide, la famine et les déplacements forcés. Cependant, nous nous accrochons à notre terre, en prenons soin, la protégeons et la défendons.
En Palestine, les femmes sont les icônes de la révolution, de la résurrection et de la renaissance. Ce sont elles qui protègent leurs maisons assiégées et leurs terres, sous la menace d’expropriation et d’implantation. Les femmes sont les gardiennes de la mémoire collective. Ce ne sont pas de simples victimes, mais des cibles qui, lorsqu’elles sont touchées, ont un impact sur les générations futures.
Je me tiens devant vous aujourd’hui au nom des femmes paysannes qui constituent l’épine dorsale de la souveraineté alimentaire dans le monde entier. En même temps, elles sont parmi les plus vulnérables à la marginalisation et à l’exploitation. Les femmes rurales cultivent leur terre, préservent les semences, s’occupent des animaux et assument la responsabilité de nourrir les nations. Cependant, elles se voient refuser les droits fondamentaux à la terre, à l’eau et aux semences, et ce sont elles qui subissent la violence patriarcale, sociale et économique. Elles paient le prix le plus élevé de la pauvreté, des déplacements forcés et des conflits armés.
Dans la région arabe, la souffrance des femmes à la campagne est aggravée par des régimes politiques et économiques satellites, subordonnés à des puissances étrangères, limités par des accords qui placent les intérêts des grandes entreprises au-dessus des intérêts du peuple. Les femmes rurales des pays arabes sont privées de ressources et menacées par le changement climatique et la sécheresse. Elles sont confrontées à des politiques agraires néolibérales qui les privent de leurs droits à la terre, au travail et à une vie digne. Cela dit, elles restent inébranlables, luttant pour que la vie continue, pour protéger la terre et défendre le droit des peuples à l’alimentation et à la souveraineté.
La situation dans mon pays, la Palestine occupée, est encore plus difficile. Les femmes paysannes palestiniennes sont confrontées à l’occupation, aux colonies et à la confiscation des terres, en plus de la violence quotidienne perpétrée par la machine de guerre coloniale sioniste.
Le génocide auquel les Palestinien·nes sont confronté·es aujourd’hui révèle l’impérialisme cruel et la complicité des puissances coloniales et capitalistes mondiales. À ce jour, on compte plus de 73.000 martyr·es et disparu·es, dont 19.000 enfants, et plus de 13.000 femmes ont été tuées par les bombardements, la famine et le siège. Les femmes palestiniennes perdent non seulement leur maison et leur terre, mais aussi leurs fils et leurs filles. On leur refuse le droit à la vie. Pourtant, elles continuent de se battre pour la terre, pour la vie, pour un avenir libre et digne.
À la Via Campesina, nous réaffirmons que notre lutte est mondiale. Nous reconnaissons que notre lutte contre l’occupation sioniste en Palestine est la même lutte contre le capitalisme sauvage et les multinationales qui volent les semences des paysan·nes, détruisent l’environnement et asservissent les gens. Notre lutte contre le génocide en Palestine est une lutte contre les régimes patriarcaux, rétrogrades et impérialistes qui oppriment les femmes partout dans le monde.
Mon message à vous et à toutes les femmes, les jeunes et les hommes du monde qui embrassent des causes justes est: ne laissez pas la Palestine seule. Notre lutte n’est pas locale. C’est la lutte de tout être humain qui rejette l’injustice. Nous sommes inébranlables et nous nous battons. Nous rêvons d’une liberté incassable.
Ensemble, nous devons défendre et protéger les femmes paysannes contre toutes les formes de violence et d’exploitation, en garantissant leur droit à la terre, aux semences et à l’eau. Nous continuerons d’exprimer notre solidarité mondiale avec le peuple palestinien, considérant sa lutte comme indivisible de la lutte du peuple contre l’impérialisme. Nous lutterons contre le régime patriarcal et capitaliste qui marginalise les femmes, opprime les paysan·nes et détruit l’environnement. Nous affronterons les entreprises monopolistiques qui volent les semences des paysan·nes, imposant une agriculture industrielle dévastatrice au détriment de l’agriculture populaire et de la souveraineté alimentaire. À travers ces actions, nous construirons un mouvement mondial de lutte ancré dans la solidarité et le partage d’expériences et de connaissances, qui place la souveraineté alimentaire au centre de la lutte pour la justice sociale et la libération nationale et féministe.
Camarades, notre lutte est pour la vie face à la politique de la mort. D’ici, nous élevons la voix: il n’y a pas de souveraineté alimentaire sans une Palestine libre, il n’y a pas de justice sociale sans des femmes rurales libres, il n’y a pas d’avenir pour notre peuple sous le contrôle de l’impérialisme, du capitalisme et de l’arriération.
Mondialiser la lutte, mondialiser l’espoir!
Samah Abunina*
*Samah Abunina est membre de la Via Campesina en Palestine. Le texte est une édition de son discours lors de l’Assemblée des Femmes du 3ème Forum mondial Nyéléni.
- Fondée en 1993, La Via Campesina est un mouvement international qui rassemble des millions de paysan·nes, de travailleur·euses sans terre, d’autochtones, d’éleveur·euses, de pêcheur·euses, de travailleur·euses agricoles migrant·es, de petit·es et moyen·nes agriculteur/trices, de femmes rurales et de jeunes paysan·nes du monde entier.
- Nyéléni est une paysanne malienne dont l’existence a été transmise par la tradition orale africaine. Originaire de la région de Ségou, elle n’a eu de cesse d’exceller dans tous les domaines afin d’être la fierté de ses parents. On lui attribue la domestication du fonio, une céréale aux grains minuscules, cultivée dans la partie sahélienne de l’Afrique de l’ouest. Nyéléni est devenue le symbole de l’engagement des femmes dans la vie sociale malienne. Les organisateur/trices du forum mondial pour la souveraineté alimentaire qui s’était tenu à Sélingué au Mali en 2007 avaient choisi de lui rendre hommage en baptisant cette rencontre «Nyéléni 2007».



