FRANCE / ANTICAPITALISME: luttons pour préserver les terres et l'eau

de Jacqueline, 13 sept. 2022, publié à Archipel 317

Face à l’accaparement des communs, luttons pour préserver les terres et l’eau*

Le monde s’écroule, nous le constatons chaque jour un peu plus.

Pourtant, depuis plus de cinquante ans, avec René Dumont1, les alertes se succèdent, pour «une politique écologique contre le capitalisme agressif». Malgré les rapports du GIEC (2) de plus en plus alarmants, les gouvernements, qui pourtant se voient chaque année pendant les COP (3), restent quasi inactifs, incapables de prendre la mesure de la catas-trophe et de prendre les moyens d’y remédier.

Les responsables de cette catastrophe, les grands groupes multinationaux qui courent après toujours plus de profit, sont ceux qui ont besoin de toujours plus d’énergie, et sont de ce fait, toujours plus émetteurs de gaz à effet de serre. Ce sont eux qui bétonnent nos terres arables et s’accaparent l’eau pour faire vivre leurs industries mortifères (cimenteries, nucléaires, aciéries…) ainsi que tout le secteur de l’agro-industrie.

Ce sont ces «grands patrons et les élites modernisatrices des années 1970 qui appelaient déjà le peuple à se serrer la ceinture tout en encourageant le consumérisme débridé, ils promettaient des technologies propres pour le début du 21e siècle, grâce aux progrès de l’efficacité et à l’innovation. C’est pourtant bien l’inverse qui s’est produit: les consommations n’ont cessé de croître et les modes de vie de devenir plus énergivores, sous notamment l’impulsion des multina-tionales du pétrole et du gaz, aidées par les États modernisateurs.

Aujourd’hui, trois figures centrales du monde de l’industrie et de l’énergie (Total, EDF et Engie) nous invitent à économiser les ressources et proposent une ‘sobriété d’exception’ pour sauvegarder la ‘cohésion sociale’ et ‘accompagner la transition durable’» (4). Face à une telle indécence, les mouvements s’organisent pour braver ce capitalisme effréné.

Pour ne parler que des cinq dernières décennies, plusieurs victoires des mouvements démontrent que les citoyen·nes peuvent faire entendre leurs voix, celles de la raison. Cette voix devra désormais être présente sur tous les lieux des désastres pour stopper la machine infernale et construire les mondes possibles au bénéfice des êtres vivants, humains et non humains.

Une des résistances victorieuses les plus anciennes: le Larzac, mouvement de désobéissance civile contre l’extension du camp militaire sur le Causse du Larzac. Une lutte qui a duré 10 ans, avec des rassemblements allant jusqu’à 100.000 personnes et quelques épisodes qui restent gravés dans la mémoire, comme les brebis transportées par les agriculteurs sur le Champ de Mars à Paris que les policiers essayaient vainement d’attraper. Cette lutte s’est soldée en 1981 par l’abandon du projet, une des rares promesses tenues du président Mitterrand nouvellement élu.

Il est à noter que l’armée, 1er propriétaire foncier de France, a l’empreinte carbone la plus importante de l’Etat. Son budget – 41 milliards pour 2022 – le 2e de l’État, est en augmentation constante (5).

La décennie 2010 a vu une autre victoire fort emblématique: l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes6: apparu dès les années 1970 (avec comme corollaire la création d’une association d’exploitant·es opposé·es – ADECA), ce projet est relancé en 2000 par la ministre écologiste Dominique Voynet. L’ADECA est réactivée et, à ses côtés l’association citoyenne ACIPA est créée, la résistance s’organise: grève de la faim, chaîne humaine, brigade activiste de clowns… le projet continue son chemin. La résistance monte d’un cran, la zone (ZAD – Zone A Défendre) est occupée, construction de multiples cabanes. À l’automne 2012, sous la présidence de F. Hollande, la police les évacue, manu militari en octobre 2016, puis un référendum s’opposant à l’aéroport conduit à l’abandon définitif du projet en 2018.

Ces deux luttes emblématiques ont donné lieu à une reprise en main collective des terres hébergeant agriculture, artisanat, accueil et soutien de luttes d’ici et d’ailleurs.

Pendant cette même période, les collectifs Stop gaz de schiste, qui se sont dotés d’une coordina-tion nationale, exigent l’annulation de tous les permis d’exploration accordés fin 2010. Face à la mobilisation importante des populations et des élus locaux, le président Sarkozy annule les 3 permis les plus emblématiques (Villeneuve de Berg, Montelimar, Nant), un territoire allant du nord de l’Ardèche jusqu’à l’Aude, avant les élections présidentielles de 2012. L’annulation définitive a été prononcée début 2016 après les différents recours juridiques engagés par les compagnies gazières.

La répression est toujours présente, violente et même meurtrière avec la mort d’un jeune mili-tant lors d’une manifestation contre la construction d’un barrage à Sivens le 25 octobre 2014.

Ces luttes ont redonné espoir à de nombreux collectifs d’opposant·es aux Grands Projets Inutiles et Imposés, plusieurs centaines se sont mis en place un peu partout en France (7): aéroports, fermes usines, barrages, entrepôts, centres commerciaux avec des victoires obtenues pour cer-tains: abandon de plusieurs projets de plateformes Amazon (Fournès, Rouen, Montbert, Dambach, Pays Basque….), centre commercial Oxylane à Montpellier, le solarium jouxtant la piscine olym-pique à Aubervilliers… toutes ne sont pas recensées à ce jour.

Avec cette volonté de ne pas se laisser malmener par des décisions et des projets destructeurs, les luttes territoriales se coordonnent.

C’est ce qui a donné naissance au mouvement Les Soulèvements de la Terre (8) qui a pour objectif principal de mettre «toutes nos forces dans la bataille pour enrayer le désastre en cours, et abattre le système économique dévorant qui l’engendre». Les luttes se soutiennent mutuellement avec des mobilisations importantes aux quatre coins de la France: contre les méga-bassines dans le marais poitevin, l’extension des carrières de sable, l’artificialisation de la montagne à La Clusaz et des terres à Pertuis, la reprise de terres aux Vaites à Besançon… Les militant·es se rencontrent 2 fois par an, lors des «interludes». Ainsi s’ébauche une résistance globale à partir d’actions concrètes à l’échelle locale, une analyse partagée des freins et éléments facilitateurs et surtout la conviction que, comme le dit Jérôme Baschet (9), «nous pourrions être amené·es à constater que la propension de l’impossible à devenir possible s’accroît plus vite qu’on ne pouvait l’imaginer.»

Ce mouvement représente désormais une base d’appui à des moments souvent charnières, orga-nisant aussi des actions directes d’envergure nationale contre les industries responsables du désastre en cours (Lafarge, Monsanto, …).

A l’heure où l’écologie est dépolitisée par l’apologie des «petits gestes individuels», à l’heure où la question fondamentale des conditions de notre vie sur terre est occultée par une offensive xénophobe et réactionnaire brutale, l’émergence d’une force politique non institutionnelle qui se donne les moyens d’agir sur certains champs clés du ravage capitaliste est d’autant plus précieuse (10). De nouvelles dynamiques soeurs essaiment, comme les Soulèvements de la Mer (11), Coali-tion des Jardins populaires (12) ou la journée d’actions coordonnées Retour sur Terres du 26 avril (13). (...) Apprenons de nos expériences et ne restons pas sans voix face à la désolation sociale.

Jacqueline

  • Article paru dans Episode Cévenol N0 27, Été 2022, <episodecevenol.noblogs.org>.
  1. Voir article «René Dumont» sur <wikipedia.fr>.
  2. Voir: «Nouveau rapport du Giec: quelles solutions face au réchauffement climatique?» sur <service-public.fr>.
  3. «Conférence des parties» à la convention des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
  4. Voir: «Sur les aimables lecons des petrocrates menaçant la cohesion du monde» sur <terrestres.org>.
  5. Voir: «Budget de la défense: les étapes pour le porter à 2% du PIB» sur <vie-publique.fr>.
  6. Voir: «Notre-Dame-des-Landes: l’histoire de ‘la plus vieille lutte de France’ en 6 actes» sur <lemonde.fr>.
  7. https://lutteslocales.gogocarto.fr/map#/carte/@44.23,4.79,7z?cat=all.
  8. <lessoulevementsdelaterre.org>.
  9. Voir: «Possibles du réel et réel des possibles» sur <terrestres.org>.
  10. Voir: «Saison 3 – Les soulèvements de la terre enfoncent le clou! - Printemps Été 2022» sur <lessoulevementsdelaterre.org/blog>.
  11. <soulevementsdelamer.noblogs.org>
  12. Voir «Assises des jardins polpulaires en lutte, à Besançon (Doubs)» sur <reporterre.net>.
  13. Voir «Retour sur terres le 26 avril: le détail des actions» sur <blogs.mediapart.fr/non-la-reintoxication-du-monde