PROCHE-ORIENT: Lettre du Liban

de Clara, Saadnayel, 17 avr. 2024, publié à Archipel 325

Chères amies et chers amis,

Chaque jour, au sud du Liban[1], à la frontière de la Palestine occupée, des bombes sont larguées par Israël, détruisant des vies, mais aussi des villages entiers, des espoirs, la nature. Le Sud était magnifique, avec tous ses oliviers et le mont Hermon que l’on aperçoit au loin, mais toute la vie ici est détruite.

Oui, beaucoup d’entre vous ne le savent peut-être pas, mais ces derniers mois, 80.000 personnes ont dû quitter les régions et des villages voisins, accueillies chez des connaissances ou dans des centres communautaires, des écoles, des salles des fêtes,... Là, elles attendent de pouvoir rentrer. Les enfants ne vont plus à l’école, les gens ne peuvent plus travailler, ni s’occuper de leurs terres, ni produire l’huile d’olive qui était une source de revenus annuelle importante pour eux. L’armée d’occupation israélienne a détruit plus de 50.000 oliviers et pollué la terre avec du phosphore…

Et c’est l’hiver, le froid, l’humidité, la grippe qui circule, la toux, la fatigue ... Il n’y a prati-quement pas de pièces chauffées, car il n’y a ni électricité, ni arbres pour le bois de chauffage, et le mazout est cher... La crise est omniprésente et avec la guerre et le déplacement rapide de la population, il est très compliqué de trouver dans la région de la nourriture, des vêtements, des couvertures, des produits d’hygiène pour les bébés, les enfants et les femmes, etc. La plupart des marchés et supermarchés proches de la frontière sont fermés, car leurs propriétaires craignent les bombardements. Il est donc presque impossible de trouver les produits de première nécessité.

Nous, de Buzuruna Juzuruna (voir encadré), essayons de soutenir les gens là-bas. De soutenir également les personnes de la défense civile à la frontière. La défense civile est une sorte de «pompier», elle fait partie du gouvernement et n’a rien à voir avec le Hezbollah ou une autre milice. C’est une organisation humanitaire libanaise indépendante des partis et de la religion, comme la Croix-Rouge par exemple.

Vous connaissez tous·tes l’histoire des pays ici, l’occupation, les tensions entre l’armée d’occupation et le Hezbollah, les guerres... Aujourd’hui, nous en sommes de nouveau là: des milliers de personnes ne savent pas où aller. Nous sommes dans un monde fou et aujourd’hui, la seule chose qui nous reste est d’être actifs et de nous serrer les coudes. S’entraider, surtout pour ceux et celles qui ont besoin d’une aide d’urgence, et ainsi changer petit à petit le système en place. C’est pourquoi nous avons demandé de l’aide à nos amis du Forum Civique Européen. Il ne s’agit pas pour l’instant d’un budget précis, mais plutôt d’une aide d’urgence pour pouvoir fournir le nécessaire aux familles dans le besoin dans le Sud. Un premier soutien financier nous a déjà été promis.

L’argent sert à acheter des produits pour les personnes qui se trouvent encore dans la zone frontalière. Des denrées alimentaires durables, des couvertures et des produits d’hygiène sont distribués aux familles et aux personnes qui vivent encore à la frontière, où les magasins sont fermés ou détruits. Ces articles sont distribués par des ami·es avec lesquel·les nous sommes en contact; iels se rendent directement dans le Sud auprès des habitant·es. Nous essayons d’évaluer l’ampleur des besoins et d’y répondre de manière appropriée. Nous ne pouvons pas encore savoir combien de temps les gens auront besoin d’aide.

Pour l’instant, aucune grande organisation d’aide n’est présente au Sud-Liban. C’est une région dangereuse. Les personnes qui y apportent leur aide sont pour la plupart motivées par des raisons personnelles. Voici quelques mots de notre ami libanais Tamir*, qui s’occupe des livraisons d’aide:

«Ici au Liban, en particulier au Sud-Liban, le conflit du Proche-Orient est très présent depuis le début en 1948; la population a beaucoup souffert: incursion des armées syrienne et israélienne, occupation, épuration ethnique de la population vivant dans cette région. Destruction de nos liens, de notre coopération, de notre histoire et de notre avenir communs, de nos cultures et de nos traditions. Comme je fais partie des personnes déplacées et que j’ai un lien direct avec le Sud, il est important pour moi d’aider autant que possible les personnes dans le besoin».

Nous essayons de trouver des personnes qui peuvent spontanément apporter une aide financière. Toute contribution est la bienvenue! De mi-mars à mi-avril, je fais une tournée d’information en Allemagne, en Suisse et en France avec une amie libanaise.

Clara*, Saadnayel, février 2024

*Les noms propres ont été modifiés par la rédaction.

  1. Au sujet du Liban et du projet de Buzuruna Juzuruna, nous avons publié plusieurs articles dans Archipel ces dernières années: dans les numéros 327, 319, 295 et 259.

Depuis six ans, l’équipe de Buzuruna Juzuruna (BJ), composée de Libanais·es, de réfugié·es syrien·nes et de Français·es, mène de nom-breuses activités dans une ferme de deux hectares à Saadnayel, près de Zahlé: production de semences, recherche de variétés adaptées aux conditions locales, vente de paniers de légumes et de bouquets de fleurs à Beyrouth, formations diverses (compost, traitements naturels, production de semences), soutien aux réfugié·es syrien·nes dans les camps, activités pour enfants (cirque sous chapiteau), ainsi qu’un jardin potager à Saadnayel, cultivé par une vingtaine de familles. BJ soutient également des initiatives dans le domaine de l’agriculture paysanne en Syrie.

Les gens de BJ sont étroitement liés aux mouvements qui ont participé à la «révolution» qui a éclaté en octobre 2019. Pendant plusieurs mois, des places ont été occupées dans de nombreuses villes et la question de l’autonomie alimentaire a notamment été soulevée.

Le Liban - son histoire depuis l’indépendance

Avec une superficie d’environ dix mille kilomètres carrés, le Liban représente environ un quart de la Suisse, mais trois fois plus peuplé, avec 667 habitants au kilomètre carré. Cette étroite bande de terre de 220 km de long, située le long de la côte orientale de la Méditerranée, entre Israël et la Syrie, a été sous mandat français avec la Syrie de 1919 à 1943. Depuis sa création, le pays n’a connu que peu de périodes de paix et de nombreux Libanais·es ont quitté leur pays, devenu l’enjeu des différents intérêts au Proche-Orient. Dans les années 1950, de nombreux Palestinien·nes ont fui vers le sud du Liban, jusqu’à ce que l’OLP transfère sa structure de commandement de Palestine à Beyrouth en 1970 et commette de nombreux attentats contre Israël depuis le Liban.

En 1970, une guerre civile sanglante éclate, qui ne prend fin qu’en 1989. En 1982, Israël envahit le Liban et fait fuir la direction de l’OLP qui s’installe en Tunisie, mais environ 500.000 Palestinien·nes vivent encore aujourd’hui dans le pays. Une grande partie de la population libanaise a fui le Sud-Liban, occupé par l’armée israélienne jusqu’en 2020.

Il reste un mur de six mètres de haut qui sépare le sud du Liban des territoires palestiniens occupés. Depuis 1975, la Syrie avait égale-ment des troupes stationnées en permanence au Liban et n’a été contrainte de les retirer complètement qu’avec la révolution du Cèdre1 en 2005. Peu après, la répression militaire du mouvement de protestation en Syrie a entraîné un flux continu de réfugié·es vers les pays voisins. En mars 2013, il y avait officiellement près de 700.000 réfugié·es syrien·nes au Liban; aujourd’hui, leur nombre est estimé à 1,5 million. L’histoire douloureuse de ce petit pays a conduit à la désintégration totale des structures étatiques. Depuis 2019, le pays est confronté à une grave crise économique. L’État libanais a accumulé près de 90 milliards de dollars américains de dettes. Un tiers de la population est actuellement menacé de famine. Actuellement, de tous les États du monde, le Liban a le pourcentage le plus élevé de réfugié·es par rapport à la population totale.

  1. la «révolution du cèdre» est le nom donné à la série de manifestations de la société civile au Liban, principalement à Beyrouth, déclenchées par une tentative d’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri le 14 février 2005.