ROUMANIE / EXTRACTIVISME: Save Roșia Montană

de Jochen Cotaru, FCE Roumanie, 20 avr. 2024, publié à Archipel 335

C’était par une journée assez chaude de l’été 2003 que je me suis rendu pour la première fois à Roșia Montană, en compagnie de mon père, tout aussi curieux. Nous avions entendu dire qu’ici, une initiative de petit·es paysan·nes du coin et de jeunes citadin·es s’opposait à une mine d’or – quelques Davids contre un Goliath lié aux services secrets et aux kleptocrates. J’avais interviewé une vieille Hongroise sur son refus de l’or et fait la connaissance de gens qui voulaient sauver leur village. Le soleil brillait à Roșia et c’était le début d’une belle amitié...

Pour ces gens-là, la résistance avait commencé quelques années auparavant. La société civile? Le droit? Poussez le bouchon. La Roșia Montană Gold Corporation, appelée «Gold», avec ses recruteurs de Gabriel Resources Ltd. cotés à la Bourse de Toronto, avait acheté sous leurs chaises le sol et les maisons des gens, construit une cité de remplacement stérile aux portes d’Alba Iulia/ Karlsburg, graissé des pattes. L’initiative citoyenne Alburnus Maior (d’après le nom de la localité datant de l’époque de sa fondation par les Romains) et la campagne Save Roșia Montană s’y étaient opposées, avaient porté plainte pour obtenir un droit de regard et l’annulation des autorisations. À cette occasion, la phrase «Nous adorons la loi!» a fait le tour du monde.

En tant qu’adolescent marqué par la fin des années 1980 en RDA, c’est devenu un passage obligé de la société civile: année après année, nous nous rendions à Roșia, où les enfants étaient politisés, où nous débattions pour en exclure les extrémistes de droite tout à fait solidaires (il s’agissait bien de «terre roumaine»...). Année après année, nous sommes descendu·es dans la rue, d’abord timidement, puis bruyamment, pour finir par ne plus pouvoir nous arrêter. Et, oui, année après année aussi, la société civile de mon pays natal, née dans ce petit village des monts Apuseni, s’est diversifiée. Il y eut alors des controverses entre nous – certes douloureuses, mais qui nous ont rendus plus riches. «Uniți salvăm Roșia Montană!» était le rythme que nous martelions avec des bouteilles en PET remplies de sable sur l’asphalte des rues et des boulevards de tout le pays1, le rythme dans nos têtes. Cette lutte, tous ces gens, m’ont irrémédiablement lié à ce pays.

En bref, la détermination pour ce village était énorme. Un jour, le gouvernement (ne demandez pas lequel – c’était des politico-capitalistes et des kleptocrates) a renoncé. Un jour, le village, qui n’était plus habité que par quelques personnes, a été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un jour, un jeune de retour au pays a commencé à produire des chaussettes en laine super chics sous le label Made in Roșia Montană. Un jour, un groupe de scouts a vu le jour. À un moment donné, Gabriel Resources a traîné l’État roumain devant la Cour internationale d’arbitrage de Washington. Et il y eut des pleurs et des grincements de dents: à cause de cette campagne stupide, notre pauvre pays devait maintenant payer des milliards d’euros de dommages et intérêts à cette entreprise. On y aurait presque cru.

Le 8 mars 2024, la Cour d’arbitrage a rejeté toutes les demandes de Gabriel. Toutes? Toutes! La totalité! Pas un centime, nici un bani2 pour les chercheurs d’or empêchés.

C’est possible. Sur le web, on trouve beaucoup de bonnes informations sur plus de 20 ans de résistance à l’idée de l’époque de détruire des villages entiers, de faire sauter quelques tonnes d’or de la roche et de les laver au cyanure. Des lacs de telles folies toxiques existent déjà dans la région. Le porte-parole de l’initiative locale de cette époque, Eugen David, vit retiré dans sa ferme à Roșia. La tante Margit de mon interview est décédée depuis longtemps. De nouvelles personnes vont emménager dans les maisons – avoir modifié durablement la structure sociale du village peut être considéré comme un succès par la société aurifère. Quoi qu’il en soit. Certain·es d’entre nous ont fait la fête pendant des jours après le jugement. C’est bien ainsi. Nous ne sommes pas pour autant aveugles aux catastrophes à tous les niveaux. Mais une telle victoire donne du courage! Car une chose est sûre, l’été prochain ne manquera pas de venir...

Deux personnes qui, en tant que jeunes, se sont dévouées corps et âme à la campagne Save Roșia Montană!, sont représentatives des centaines de milliers de personnes qui se sont engagées pour un village et ont changé tout un pays. Je veux leur donner ici le mot de la fin:

Tudor Brădățan, aujourd’hui chez DeClic.ro, la plus grande plateforme roumaine de pétitions et de campagnes: «J’ai toujours pensé que Roșia Montană ne pouvait pas être considérée comme sauvée tant que l’or était encore sous terre. Il y aura toujours une poignée de personnes avides de s’enrichir et prêtes à faire exploser quatre montagnes pour en extraire le métal précieux. Mais il est peu probable qu’un projet minier soit financé par des investisseurs raisonnables dans un avenir prévisible proche. Tant qu’il y aura des gens pour s’opposer à la destruction de l’environnement, Roșia Montană sera en sécurité. Nous avons prouvé au cours des 20 dernières années que les activistes gagnent parfois contre vents et marées.»

Ramona Duminicioiu, aujourd’hui porte-parole d’Ecoruralis, association de petit·es paysan·nes roumain·es: «Cette victoire, nous la devons avant tout à la résistance paysanne de Rosia Montana. La communauté locale a été la première à se mobiliser et constitue depuis 24 ans le principal obstacle à ce projet minier illégal. Les paysan·nes de Roșia Montană qui se sont regroupé·es en un mouvement social qui a profondément changé la société roumaine postcommuniste ont inspiré tout un pays et au-delà.

La campagne Save Roșia Montană a conduit à une unité dans la société roumaine et à une école d’activisme, laissant en héritage une société civile politiquement engagée avec un modus operandi plus stratégique. Le succès obtenu devant la Cour d’arbitrage de Washington a une portée inter-nationale. Il y a des centaines de communes et de collectifs qui luttent contre des entreprises mi-nières similaires et des États qui font face à un chantage similaire devant les tribunaux d’arbitrage. Le succès de la Roumanie symbolise le succès des petites communautés dans le monde entier.»

Joachim Cotaru, membre FCE - Roumanie

  1. https://youtu.be/nYBvdNzkXpQ?si=mDS3e_DGjCGI_Y76 https://youtu.be/XD_b-BxWoV4?si=S8Jw0Rjo8ae8KOsY
  2. «Pas un rond», en roumain.